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Par Rhonny Starr Biyong
Au Gabon, la société civile, censée être la vigie du peuple, s’est peu à peu muée en cour de louange, dont les silences complices et les déclarations flagorneuses participent désormais à l’enlisement du pouvoir. Ce soutien de façade, qui flatte aujourd’hui, trahira demain. Et si le général-président Brice Clotaire Oligui Nguema venait à tomber, nul doute que cette société civile qui l’encense à longueur de journée sera la première à fuir. C’est la logique des courtisans : ils tressent la corde du pouvoir jusqu’à ce qu’elle devienne le nœud de sa propre chute.
Lorsque la famille Bongo, placée en détention après le coup d’État du 30 août 2023, a été libérée discrètement par les autorités, la société civile est restée muette. Aucun communiqué, aucune indignation, aucun appel à la justice. Le peuple, lui, n’a pas été dupe de cette décision prise dans l’ombre. Il a exprimé sa colère, son incompréhension, sa douleur face à ce qu’il considérait comme une trahison de plus. Mais de la société civile, rien. Silence radio. Silence complice.
Et voilà qu’aujourd’hui, alors que des accusations de torture sont portées contre les autorités de la Transition par les Bongo eux-mêmes, cette même société civile retrouve soudain la voix. Pas pour dénoncer l’opacité de la gouvernance ou la libération sans suite judiciaire, mais pour… défendre le pouvoir. Oui, défendre le régime contre ceux qu’il a lui-même relâchés sans explication. Quelle cohérence ? Quelle indépendance ? Aucune.
Ce brusque réveil sélectif sonne comme une fausse note dans une partition écrite d’avance : celle d’une société civile devenue partisane, alignée, inféodée. Une société civile qui parle quand le pouvoir l’autorise, et se tait quand le peuple souffre.
À force de lécher les bottes du président pour préserver des postes, des subventions ou des privilèges acquis par la trahison de leur mission première, ces pseudo-acteurs de la société civile ont perdu leur boussole. Là où ils devraient alerter, dénoncer et proposer, ils se contentent d’absoudre, de justifier et de louer. Ils ne servent ni le président ni la République : ils l’enferment dans une bulle où tout semble parfait, pendant que le sol se dérobe sous ses pieds.
Aujourd’hui, Brice Clotaire Oligui Nguema est plus impopulaire que ne l’était Ali Bongo au moment de sa chute. Chaque décision impopulaire, chaque favoritisme affiché, chaque entorse aux attentes du peuple creuse un peu plus le fossé. Et pendant ce temps, les flatteurs applaudissent. Plus fort. Plus faux. Jusqu’à l’absurde.
Mais ces applaudissements cesseront net le jour où le pouvoir vacillera. Ce jour-là et il viendra si rien ne change les mêmes qui aujourd’hui défendent bec et ongles l’indéfendable s’éclipseront comme ils sont apparus : discrètement. Ils nieront leur rôle. Ils se repositionneront. Ils oseront même dire qu’ils avaient averti, qu’ils étaient en désaccord, qu’ils ont été trompés. Ce sont les lois de la trahison : on soutient tant que ça rapporte, on abandonne quand ça coûte.
Le président de la Transition a encore le choix : celui de rompre avec cette société civile de connivence, de renouer avec une société civile authentique, indépendante, enracinée dans le réel, celle qui dit la vérité même quand elle dérange. Le peuple n’a pas besoin de spectacles, mais d’actes ; pas de discours fleuris, mais de réformes courageuses ; pas de relais de propagande, mais de relais de conscience.
Si Oligui échoue, ce ne sera pas seulement par ses erreurs, mais par la faute de ceux qui ont préféré lui cacher la vérité. Car une corde faite de mensonges ne soutient pas : elle étrangle.