Il y a une dizaine d’années, du haut de la tribune de l’Assemblée nationale, Bertrand Zibi Abeghe, alors député, lançait un cri d’alarme resté sans écho. Dans un discours d’une lucidité désarmante, il alertait sur la dérive morale, sociale et sécuritaire du Gabon. Ses propos, que beaucoup avaient pris à la légère, apparaissent aujourd’hui comme une prophétie. Dix ans plus tard, le pays traverse exactement les crises qu’il redoutait : une justice défaillante, la montée des pratiques occultes, la prolifération des “églises éveillées”, et surtout, une jeunesse engloutie par la drogue et la violence.
À l’époque, Zibi dénonçait déjà la justice gabonaise comme étant au cœur du problème national. Il rappelait que les forces de l’ordre faisaient leur travail, mais que trop souvent, les criminels étaient protégés par des “parapluies” politiques ou occultes. Ce constat, qu’on croyait exagéré, est aujourd’hui une réalité quotidienne. Les scandales judiciaires se multiplient, les décisions incohérentes sapent la confiance du peuple, et les citoyens assistent impuissants à la lente agonie de l’État de droit.
L’ancien député avait également mis en garde contre l’invasion de marabouts et la montée des “églises éveillées” qui manipulent les consciences et détruisent les familles. Ce phénomène s’est amplifié : chaque quartier compte désormais son “prophète”, son “bishop” ou son “apôtre”, souvent plus préoccupé par l’argent et le pouvoir que par la foi. Des scandales de viols, d’extorsions et d’endoctrinement éclaboussent ces institutions sans qu’aucune mesure ferme ne soit prise. Le Gabon, autrefois pays de tolérance et de spiritualité équilibrée, s’enlise dans un désordre religieux inquiétant.
Mais le point le plus frappant de sa déclaration concernait la drogue. Bertrand Zibi avertissait : “Dans cinq ans, nous allons tordre notre jeunesse.” Cette phrase résonne aujourd’hui avec une force dramatique. Les jeunes gabonais, livrés à eux-mêmes, s’enfoncent dans la consommation de drogues dures et de substances de plus en plus destructrices. Les faits divers se multiplient : enfants violents envers leurs parents, agressions à l’arme blanche, vidéos macabres sur les réseaux sociaux. La criminalité juvénile explose, et la société semble dépassée par l’ampleur du fléau.
Zibi avait vu juste, mais personne ne l’a écouté. Son cri d’alerte n’était pas un discours politique, c’était une prophétie nationale. Dix ans plus tard, le Gabon récolte les fruits amers de son indifférence. Ce pays qu’il décrivait comme “en train de se perdre sous nos yeux” vit désormais le chaos qu’il redoutait : une justice malade, une jeunesse droguée, une foi dévoyée.
Aujourd’hui, Bertrand Zibi Abeghe siège au Conseil économique, social et environnemental. Ironie du sort : l’homme qu’on avait écarté pour avoir dit la vérité se retrouve au cœur d’une institution censée réfléchir à l’avenir du pays. Peut-être est-il temps, enfin, d’écouter ce patriote qui, il y a dix ans, avait tout compris avant tout le monde. Car si rien n’est fait, le pire, cette fois, ne sera plus à prédire… il sera à vivre.









