On en parle dans les salons, sur les plateaux télé, dans les ministères et jusque dans les cours d’école : la délinquance juvénile explose, la violence en milieu scolaire atteint des sommets, et tout le monde cherche des coupables. Certains accusent les réseaux sociaux, d’autres les parents, d’autres encore le système éducatif. Mais personne n’ose regarder la vérité en face : la Tcham oui, cette musique devenue dogme national est la nouvelle école de formation des petits caïds de la République.
Autrefois, les jeunes rêvaient de devenir enseignants, ingénieurs, médecins, voire même présidents. Aujourd’hui, ils rêvent d’être « validés » par un chanteur tatoué qui prêche la paresse, le vice et la violence sur un beat électronique. Le mot d’ordre ? « Faut tchammer pour briller ». Traduction : il faut transgresser pour exister. La Tcham n’est plus un simple rythme ; c’est une idéologie, une religion sans Dieu mais avec des gourous, une école sans cahiers mais avec des clips tournés entre une bouteille de whisky et un joint mal roulé.
Le problème n’est pas seulement musical, il est sociologique. Dans les quartiers populaires, la Tcham a remplacé le père absent, la mère débordée et l’école défaillante. C’est elle qui éduque, qui façonne les rêves, qui définit le bien et le mal. Elle enseigne que la réussite, c’est l’argent facile, la violence spectaculaire et la vulgarité assumée. À quoi bon apprendre les mathématiques quand le buzz rapporte plus qu’un diplôme ? À quoi bon respecter le professeur quand le modèle du succès est celui qui insulte, frappe et se filme pour faire rire ?








Ci-dessus, la Tcham dans les rues de Libreville
Les autorités, elles, observent tout cela d’un œil distrait, entre deux conférences sur la jeunesse et trois selfies avec les mêmes « influenceurs » qu’elles devraient réguler. On organise des séminaires pour “comprendre la violence scolaire”, on publie des rapports de cent pages, on crée des commissions. Pendant ce temps, la Tcham continue sa croisade : elle évangélise les cours de récréation, convertit les collégiens en petits gangsters et fait de chaque école une scène de clip en direct.
Les faits parlent d’eux-mêmes. Les bagarres dans les lycées ne sont plus des disputes, ce sont des shows. Les insultes sont devenues des punchlines. Les couteaux remplacent les stylos. Et dans ce chaos, les “stars” de la Tcham récoltent les fruits de la décadence qu’elles sèment, acclamées par une jeunesse perdue et abandonnée à son sort.
Mais tout n’est pas perdu à condition d’avoir le courage d’agir. Il faut désacraliser la Tcham, lui retirer ce pouvoir hypnotique qu’elle exerce sur des millions de jeunes cerveaux. Cela passe par une vraie politique culturelle, pas par des dons de voitures à des chanteurs sans message. Il faut ramener l’art à sa fonction première : élever, éduquer, inspirer. La musique gabonaise doit redevenir une école du cœur et de l’esprit, pas un tutoriel pour la délinquance.
Et surtout, il faut cesser de traiter la jeunesse comme un public, et recommencer à la considérer comme un peuple en construction. Parce qu’à force de laisser la Tcham dicter la morale nationale, le Gabon risque bientôt d’avoir une génération diplômée en vulgarité et licenciée en violence.
Mais ne nous mentons pas : tant que les ministres danseront sur les mêmes refrains que les voyous, la Tcham restera la maîtresse d’école de la République.











