Dans un contexte de transition politique tel que celui que traverse actuellement le Gabon, la frontière entre le devoir d’informer et la perception de l’opinion publique est souvent floue, surtout pour les journalistes qui exercent un rôle critique. Alors que leur mission première est de rapporter les faits, qu’ils soient positifs ou négatifs, ces derniers se retrouvent trop souvent stigmatisés, étiquetés comme opposants, voire saboteurs du régime en place. Une telle perception, ancrée dans la mentalité de plusieurs régimes africains, reflète une profonde incompréhension du véritable rôle de la presse.
Le rôle de la presse critique, surtout en période de transition militaire, ne devrait en aucun cas être perçu comme une menace, mais plutôt comme une précieuse contribution à la reconstruction nationale. En mettant en lumière les failles et les dérives d’un système, les journalistes ne visent pas à déstabiliser les autorités, mais à souligner les éléments qui nécessitent correction. Malheureusement, cet exercice est trop souvent mal interprété, et ceux qui le pratiquent, comme c’est le cas au Gabon, risquent de se voir désignés à tort comme des opposants politiques.
Prenons l’exemple d’un journaliste qui critique l’intervention militaire dans une affaire impliquant des enfants. Même si ces enfants sont fautifs, cela n’efface en rien leurs droits. Or, quand un journaliste ose rappeler ce fait en invoquant des textes juridiques internationaux – par exemple la Convention relative aux droits de l’enfant – il se voit souvent accusé de prendre parti contre l’autorité en place. Cela illustre une dérive où la passion et les émotions prennent le pas sur la logique et la loi, notamment en Afrique. Il devient dès lors plus simple d’attaquer le messager plutôt que de prendre en compte le message.
Un autre aspect inquiétant de cette situation est l’utilisation de rapports ou de « bulletins de renseignement » pour surveiller les journalistes critiques. Prenons le cas d’un journaliste gabonais dont un rapport a été rédigé et envoyé aux autorités pour le dénoncer. Heureusement, la réponse a été favorable : « il ne fait que son travail ». Pourtant, le fait même qu’un tel rapport ait été nécessaire illustre l’ambiguïté du climat actuel. Un climat où l’on préfère espionner les médias plutôt que de les considérer comme des partenaires dans le processus de redressement national.
Cela pose un problème fondamental : si les journalistes doivent sans cesse se défendre d’accusations infondées et justifier leur droit à l’exercice critique, cela peut avoir un effet dissuasif sur leur capacité à jouer pleinement leur rôle de lanceur d’alerte. En retour, les dérives risquent de se multiplier dans un silence assourdissant, et la reconstruction se fera sans les ajustements nécessaires.
Dans ce climat tendu, il n’est pas surprenant que bon nombre de journalistes et de médias préfèrent ne pas critiquer les autorités. Par peur de représailles, beaucoup choisissent de rapporter uniquement ce qui plaît au pouvoir en place, évitant ainsi toute confrontation. Ce phénomène est particulièrement visible au Gabon, où certains médias se contentent de flatter les autorités dans l’espoir d’obtenir des retours sous forme de récompenses financières, de nominations à des postes prestigieux ou d’autres avantages matériels. Cette attitude opportuniste affaiblit considérablement le rôle de la presse et sa capacité à agir en tant que contre-pouvoir. En cherchant à séduire les autorités plutôt qu’à les questionner, ces médias deviennent des relais de propagande, et non des vecteurs de vérité.
En période de transition, plus que jamais, la critique doit être accueillie comme un outil constructif. Le Conseil de la Transition et de la Restauration des Institutions (CTRI) doit comprendre que, même si certaines critiques semblent dures ou infondées, elles peuvent contenir des éléments de vérité qui, une fois pris en compte, permettront d’éviter des erreurs coûteuses. À titre d’exemple, la gestion des affaires publiques, l’intervention de l’armée dans des questions civiles, ou encore la distribution inégale des ressources sont autant de sujets qui méritent l’attention. Si la presse et les journalistes sont empêchés de soulever ces questions par peur de représailles, ou pire, s’ils préfèrent jouer le jeu de la flatterie pour obtenir des privilèges, la transition risque de s’effectuer sans les corrections essentielles au bien-être des citoyens.
Il est essentiel que les autorités et l’opinion publique reconnaissent le rôle irremplaçable de la presse critique. Ce n’est pas un crime d’alerter sur des dérives ; c’est un service rendu à la nation. Les journalistes ne sont pas des ennemis du peuple, mais bien des sentinelles vigilantes qui veillent à ce que les promesses de la transition soient tenues. Au Gabon, et partout ailleurs en Afrique, il est temps de cesser de confondre critique constructive et opposition politique. Une nation qui écoute sa presse est une nation qui se donne les moyens de réussir sa transition.