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Le 30 août 2023 a marqué un tournant historique pour le Gabon. Un changement de régime salué par la plus grande partie de la population, portée par l’espoir d’une nouvelle ère. Deux ans plus tard, un citoyen déguerpi témoigne de sa réalité. Son récit, personnel et poignant, s’adresse à ses compatriotes, à travers une réflexion sur les promesses, les choix collectifs et leurs conséquences.
Ci-dessous le témoignage de ce déguerpi
»Je m’adresse à vous, frères et sœurs Gabonais, vous qui avez cru au rêve, au changement, à cette promesse d’un Gabon nouveau incarnée par un homme en treillis. Vous étiez des milliers à scander « Le 12, c’est le 12 », comme un slogan sacré, une incantation, un serment d’espérance. Et moi ? Moi je regardais, je doutais, je vous avertissais. Mais on n’écoute jamais celui qui a déjà trop souffert.
Aujourd’hui, ma maison n’existe plus. Elle a été rasée sans état d’âme, sans relogement, sans compassion. Mes enfants, pourtant en pleine période d’examen, dorment dans la rue. Et moi, je vous regarde, vous qui avez voté OUI à cette constitution qui a fait d’un homme un roi sans couronne, mais avec tous les pouvoirs d’un monarque.
Vous l’appeliez « Josué », l’envoyé de Dieu. Il était, disiez-vous, « l’homme qu’il fallait pour restaurer nos institutions, notre honneur ». Il était le soldat providentiel, celui qui allait balayer l’ancien régime et ses corrompus. Mais à peine deux ans plus tard, qui retrouve-t-on dans les hautes sphères du pouvoir ? Les mêmes ! Les rejetons du système Bongo, les barons recyclés, les prédateurs de toujours.
Et nous, les pauvres, les prolétaires, nous restons les damnés de la République.
Vous avez choisi les infrastructures avant la dignité. Les bâtiments en béton avant la justice. Les routes avant la mémoire de ceux qui sont morts en espérant un véritable changement. Vous avez fermé vos yeux et bouché vos oreilles, et aujourd’hui, nous voilà à genoux, écrasés par des militaires devenus plus brutaux que ceux d’hier.
Vous avez voté pour un homme. Pas pour un projet, pas pour un avenir, pour un homme. Et cet homme aujourd’hui dirige le pays comme une épicerie familiale.
Pendant la campagne, il vous souriait jusqu’aux oreilles, il berçait des bébés devant les caméras. Maintenant, il envoie les bulldozers sur nos toits. Il nous jette dehors sous la pluie, sous le soleil, au nom de la loi… Une loi que vous-mêmes avez approuvée.
On vous a dit que la terre appartient désormais à l’État. Mais demain, c’est sur vos terres de naissance, celles où reposent vos aïeux, qu’on viendra planter des panneaux « propriété publique ». Et vous n’aurez plus que vos larmes.
Je ne suis pas contre le développement. Le Gabon doit avancer, Libreville doit évoluer. Mais à quel prix ? Faut-il pour cela écraser les vivants, piétiner les enfants, sacrifier des familles entières ?
Aujourd’hui, je suis un sans-abri dans mon propre pays. Pas parce que j’ai volé, pas parce que j’ai triché. Mais parce que j’ai cru, comme vous, que ce régime allait respecter les siens. Parce que j’ai été trop naïf de croire qu’un régime né dans la force respecterait la faiblesse.
Alors oui, buvons. Buvons cette coupe d’ »Oligui » jusqu’à la lie. Buvez, vous aussi, frères Gabonais. Car le 12, c’était le 12. Vous avez choisi. Vous avez signé.
Et moi, je suis ici, dans les décombres de vos illusions, à boire le poison amer de vos espoirs déçus.
Bon vent à vous. Et que Dieu, un jour, nous envoie enfin un vrai libérateur, pas un chef de garnison déguisé en messie.
Ce témoignage est celui d’un homme, parmi tant d’autres, confronté à la complexité d’un processus de transition. Il soulève des interrogations sur la place de l’humain dans les politiques de transformation. Entre attentes, réformes et réalités sociales, il invite chacun à la réflexion sur les chemins empruntés par notre pays. « Le 12, c’est le 12 », dit-il. À chacun de donner un sens à cette phrase. »