Ci-dessous, le déroulé de la rencontre de l’ex prisonnier politique ZIBI ABEGUE Bertrand avec l’ACAT-France à Paris le 13 décembre 2022 dernier.
À l’occasion de son séjour à Paris, trois mois jour pour jour après sa libération, l’ancien prisonnier politique Bertrand ZIBI ABEGHE est venu le 13 décembre 2022 dans les locaux de l’ACAT-France afin de remercier l’association de sa mobilisation tout au long de sa longue incarcération de six années. L’occasion de faire un tour d’horizon sur sa situation et celle du Gabon, tout particulièrement sur le volet des droits humains et de la lutte contre l’impunité.
Bertrand ZIBI ABEGHE est arrivé souriant, chaleureux, avec une petite délégation dans les locaux de l’ACAT-France à Paris le 13 décembre 2022. Il a tenu à visiter notre siège, étage par étage, et à remercier chaque personne présente. À travers ces dernières, il souhaitait remercier les nombreux adhérents et sympathisants de l’ACAT-France qui n’étaient pas là mais qui, à plusieurs reprises ces dernières années, se sont mobilisés en sa faveur alors qu’il était emprisonné arbitrairement.
Texte par Clément Boursin, responsable Programmes et plaidoyer Afrique de l’ACAT-France.
Bertrand ZIBI ABEGHE, paria du jour au lendemain
En pleine campagne électorale pour la présidentielle d’août 2016, Bertrand ZIBI ABEGHE, alors député du parti au pouvoir, le Parti démocratique gabonais (PDG), décide en plein meeting à BOLLOSOVILLE de démissionner publiquement. Ce crime de lèse-majesté est accompli en public face au chef de l’État, candidat pour un nouveau mandat, alors en déplacement dans le département du Haut-Ntem. Nous sommes le 23 juillet 2016. Le chef de l’État reste impassible mais il est humilié. Cela ne restera pas impuni. Bertrand ZIBI ABEGHE est dorénavant un paria.
Dans la nuit du 31 août 2016 – jour de la proclamation des résultats controversés donnant le président Ali Bongo vainqueur après un processus électoral non transparent – le quartier général du candidat de l’opposition Jean Ping est pris d’assaut à Libreville par un commando. Pendant plusieurs heures, ce commando use de la force létale, tue et blesse par balles des militants de l’opposition. Après la prise du bâtiment par le commando et son nettoyage, notamment les documents de compilation des résultats entrepris par l’opposition, les forces de l’ordre prennent possession des locaux. Le commando part sans encombre malgré les exactions commises.
Bertrand ZIBI ABEGHE, soutien de Jean Ping, est arrêté avec plus d’une centaine de cadres et de militants de l’opposition. L’ancien député est rapidement transféré à la Direction générale des recherches (DGR), où il est maintenu au secret durant ses quatre premiers jours de détention. Il subit des violences. Il est ensuite transféré à la prison centrale de Libreville.
Une répression d’août 2016 passée sous silence
Le bilan officiel des violences électorales d’août 2016 est de 3 morts, tandis que l’opposition parle d’« au moins » 100 victimes. Environ 1 200 personnes ont été arrêtées à travers le pays dont plusieurs leaders de l’opposition et des cas d’exécutions sommaires, d’usage abusif de la force létale, de tortures et de disparitions forcées ont été recensés par l’opposition et la société civile. À la demande du Gabon, ces violences électorales font, à partir de septembre 2016, l’objet d’un examen préliminaire au niveau de la Cour pénale internationale (CPI). Une stratégie dilatoire visant à éviter une enquête internationale du Haut-commissariat des Nations unies aux des droits de l’homme. Comme on pouvait s’y attendre, en septembre 2018, le procureur de la CPI a indiqué que les conditions juridiques justifiant l’ouverture d’une enquête n’étaient pas remplies.
«Cette conclusion ne saurait en aucun cas masquer la gravité des actes de violence et des violations des droits de l’homme qui semblent avoir été commis au Gabon lors de la crise postélectorale »
– Cour pénale internationale, renvoyant l’affaire à la justice gabonaise.
La justice n’a rien entrepris et, selon les autorités gabonaises, « aucune disparition ou plainte n’a été portée à la connaissance des autorités judiciaires ou de police ». Une manière de signifier à la communauté internationale « Circulez, il n’y a rien à voir ». Jusqu’à ce jour, les victimes et leurs proches n’ont jamais pu obtenir vérité, justice et réparations pour les crimes subis en août 2016 alors que le gouvernement gabonais avait promis en septembre 2017 la mise sur pied d’une « commission nationale chargée de mener des enquêtes ». Cette commission n’a en réalité rien produit ni jamais vu le jour.
Une très longue détention provisoire pour Bertrand ZIBI ABEGHE
À plusieurs reprises, les avocats de Bertrand ZIBI ABEGHE déposent des demandes de liberté provisoire que le juge d’instruction rejette à chaque fois. Pour Maître Jean-Paul Méthode IMBONG FADY, avocat de la défense, le dossier de son client est vide. Bertrand ZIBI ABEGHE est un prisonnier politique, détenu pour avoir eu l’outrecuidance de démissionner du parti au pouvoir devant le président de la République Ali Bongo, en pleine campagne électorale en vue de sa réélection.
Le 25 septembre 2017, après huit mois de détention provisoire, la justice gabonaise indique à Bertrand ZIBI ABEGHE qu’il est poursuivi pour « détention illégale d’une arme à feu » (arme que les autorités gabonaises refusent de faire analyser malgré les demandes en ce sens des avocats de la défense), « non-assistance à personne en danger » et « crime contre la paix public ». Ensuite plus rien pendant de nombreux mois.
Des conditions de détention éprouvantes et des violences physiques
À la suite d’un message adressé par Bertrand ZIBI ABEGHE à ses partisans – relayé fin décembre 2017 sur la page Facebook de Marc ONA ESSANGUI, militant de la société civile – la famille du détenu n’a plus accès à la prison.
Le 15 janvier 2018, après que la cellule commune de Bertrand ZIBI ABEGHE a été fouillée, un téléphone portable est retrouvé. Il est accusé d’en être le propriétaire. Peu de temps après, une dizaine d’hommes rentrent dans la cellule, l’enchaînent, l’encagoulent et le tabassent jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Il est ensuite placé à l’isolement pour « détention de téléphone portable ». Ses avocats, qui lui rendent visite le 17 janvier, le trouve alors diminué, le regard hagard, marchant avec difficulté et avec de nombreux hématomes sur le corps. Il leur indique qu’il n’a ni bu ni mangé depuis trois jours. Une plainte pour torture est déposée par ses avocats mais elle est rejetée immédiatement sans justification. Alors qu’il est de la responsabilité des autorités gabonaises d’entreprendre une enquête indépendante et impartiale, afin d’établir la vérité sur ces allégations de torture et de sanctionner leurs auteurs comme l’indique l’ACAT-France fin janvier 2018, rien n’est entrepris.
À plusieurs reprises au cours de sa détention, Bertrand ZIBI ABEGHE est privé d’eau et de nourriture, plusieurs jours d’affilé. Il fait également l’objet de diverses mesures disciplinaires injustifiées dont des enfermements à l’isolement dans une cellule sans lumière, avec seulement quelques trous d’aération et où la température est extrêmement chaude.
Pendant plus d’un an et demi, Bertrand ZIBI ABEGHE est détenu au sein du quartier disciplinaire appelé « C.A » en compagnie d’environ 90 autres détenus. Les conditions de détention sont particulièrement éprouvantes, avec un seul WC pour tous. Sa cellule d’environ deux mètres sur deux abrite huit détenus. La chaleur est difficilement supportable.
Une justice aux ordres pour maintenir Bertrand ZIBI ABEGHE en prison
En janvier 2019, l’ACAT-France s’inquiète de ce « prisonnier politique oublié dans les geôles du régime ». Alors que le code de procédure pénale gabonais donne un laps de temps de 18 mois maximum pour que le juge d’instruction conduise son enquête, ce dernier ne respecte pas le droit. Plus de 28 mois après son arrestation, Bertrand ZIBI ABEGHE continue à être détenu sans que l’enquête ne soit bouclée. Sa détention devient alors clairement illégale, sans que cela ne semble gêner les autorités au pouvoir.
Près de trois ans après son arrestation, le procès de Bertrand ZIBI ABEGHE débute devant le tribunal correctionnel de Libreville début juillet 2019. Ce dernier clame haut et fort son innocence tout au long du procès, considérant sa détention comme politique et une vengeance personnelle du président Ali Bongo. Le 23 juillet, il est reconnu coupable de « violences et voies de fait » et « détention illégale d’arme à feu », et condamné à six ans de prison ferme. Il est relaxé des chefs d’accusation d’« instigation aux actes et manœuvre de nature à provoquer des troubles ou manifestations contre l’autorité de l’État » et de « non-assistance à personne en danger ».
À l’occasion de la Nuit des Veilleurs du 26 juin 2020, de nombreux citoyens en France comme ailleurs dans le monde prient pour Bertrand ZIBI ABEGHE à la demande de l’ACAT-France. Il recevra des milliers de courriers de soutien.
Le 1er mars 2021, la cour d’appel confirme la peine en première instance. Bertrand ZIBI ABEGHE décide donc de déposer un pourvoi en cassation, mais se rétracte et demande le retrait de ce recours. À quoi bon vouloir faire entendre le droit lorsque celui-ci est aux ordres du pouvoir exécutif ? Un tel pourvoi en cassation aurait pu être contre-productif et déboucher sur une condamnation encore plus lourde. Bertrand ZIBI ABEGHE accepte ainsi de facto de purger sa peine injuste de six ans de prison.
Le 13 septembre 2022, BERTRAND ZIBI ABEGHE est libéré de nuit pour éviter un attroupement de ses soutiens devant la prison centrale de Libreville. L’ACAT-France se réjouit de sa libération.
« Une page d’injustice se tourne pour cet opposant. Il doit dorénavant pouvoir jouir de tous ses droits et notamment celui d’obtenir justice et réparations pour les violences dont il a fait l’objet en prison »
– Déclaration de l’ACAT-France suite à la libération de Bertrand ZIBI ABEGHE.
Le 13 décembre, Bertrand ZIBI nous a indiqué réfléchir à déposer plainte à l’étranger pour les violences subies en détention. S’il le fait, l’ACAT-France l’accompagnera. En attendant, l’ACAT-France se mobilise pour d’autres prisonniers politiques injustement détenus au Gabon. Parmi eux, Jean-Rémy Yama, président de Dynamique unitaire – la plus importante coalition syndicale du Gabon – et membre actif de Tournons la Page (TLP-Gabon). Ce leader syndicaliste est maintenu en détention provisoire depuis plus de dix mois. Il est à craindre que sa détention et le harcèlement judicaire dont il fait l’objet soient dû à ses activités de défense de la démocratie et de l’État de droit, dans un contexte préélectoral avec une élection présidentielle qui devrait se tenir courant 2023 et à laquelle le président Ali Bongo devrait être à nouveau candidat.
Magazine Super Star et l’ACAT-France (ONG CHRETIENNE CONTRE LA TORTURE ET LA PEINE DE MORT)