Grand dignitaire de la République gabonaise, Louis-Gaston Mayila a marqué l’histoire politique du Gabon avec des prises de position souvent tapageuses. Homme de culture attaché à ses valeurs ancestrales, il considère le Bwiti comme sa religion. En perpétuelle communication avec les esprits de ses ancêtres, l’homme pense avoir vu, avant d’autres, le scénario du « Gabon d’aujourd’hui ».
Super star: Bonjour Monsieur le Président. Maître Louis Gaston MAYILA: Bonjour! S.S: Vous possédez une immense collection d’objets d’art. D’où vous vient cet amour pour l’art?
L.G.M: Les objets d’art ont constamment entouré mon univers: ils me rappellent les choses auxquelles je crois, mon senti et mon vécu. Une œuvre d’art parle; elle rappelle la manière de vivre d’un peuple. Par conséquent, elle ne devrait pas avoir une valeur mercantile. Car lorsqu’on donne une fonctionnalité à une œuvre d’art, elle perd sa vraie valeur: je vis avec ma culture, et cela depuis mon plus jeune âge.
S.S.: Homme moderne et intellectuel de haut niveau, vous êtes également attaché au respect des rites ancestraux. Pensez-vous que dans notre société qui se veut de plus en plus moderne, cette branche de la culture mérite que l’on lui accorde encore autant d’importance?
L.G.M: Qu’entendez-vous par moderne? Moderne ne désigne pas tout ce qui nous est étranger et qui n’est pas gabonais? Je suis un nègre pétri de valeurs et de cultures gabonaises. A quoi sert de garder ses cheveux crépus et sa peau noire si on n’a aucune référence dans sa culture nègre? «Initié dans le Bwiti, j’ai trouvé, à travers ce culte, ce que les autres vont chercher ailleurs». Mon senti et mon vécu sont dans le Bwiti, je suis le dernier maillon d’une génération de vingt maîtres bwitiste: mes oncles et mes arrières grands parents ont tous été des princes du Bwiti.
S.S.: Marié à une européenne, votre vie est très certainement à cheval entre deux cultures: celle de votre épouse et la vôtre. Quelle place donnez-vous à votre tradition dans cette espèce de métissage culturel?
L.G.M.: mes enfants sont métis de peau et de culture. Ceux qui se sont intégrés dans ma culture Ghisir s’en tirent avec énormément de profit. Ma fille parle correctement ma langue. Avocate comme moi-même, elle excelle également dans l’art oratoire. D’autres ont préféré la facilité en ne parlant que le français, parce qu’ils se considèrent comme des Français, alors que ce statut leur est refusé dans ce pays. Et pourtant, il faut qu’ils se fassent à l’idée qu’ils sont bien des Gabonais. Ghisir, je suis. Ma femme assiste à toutes mes séances de Bwiti, elle se plie par conséquent à tous mes rituels.
S.S.: Il y a quelques années, alors que vous occupiez une place importante dans une grande institution de la République, bariolé de kaolin et en tenue de cérémonie bwiti, vous avez fait la dernière de couverture du quotidien national: une image qui avait stupéfait plus d’un individu. Quel est le message que vous vouliez faire passer à travers cet acte?
L.G.M.: En publiant la photo sur toute leur page arrière, les responsables du quotidien L’UNION ont tout simplement voulu créer un conflit entre le jeune Jonas Moulenda, journaliste dans ce quotidien et moi. Cette fameuse photo devait normalement passer en médaillon sur l’article de ce jeune journaliste. Contrairement à ce qu’ils avaient prévu et malgré les nombreuses critiques vaines dont fut l’objet cette image de la part de bon nombre de pseudo-français, j’ai été plutôt heureux de me voir habillé en cache-sexe, bariolé de kaolin et en train d’exposer publiquement mon appartenance au culte bwiti, ce dont je ne me cacherais jamais.
S.S: En tant que Bwitiste, vous est-il déjà arrivé de consulter les esprits de vos ancêtres pour prendre une décision importante, tant dans votre vie politique que dans le cadre des hautes fonctions que vous avez souvent occupées?
L.G.M.: Je n’ai pas besoin de me référer aux esprits de mes ancêtres du moment où, en permanence, ces entités sont avec moi. Mon grand-père me parle et je l’entends. Il vous souviendra que j’ai eu à prendre des positions courageuses dans ce pays en quittant, par exemple, des hautes fonctions de la République parce que, simplement, j’avais vu ce qui devait arriver.
S.S.: Les esprits de vos ancêtres vous ont-ils donné la position à tenir lors des dernières élections présidentielles?
L.G.M.: Je pense qu’on ne transige pas avec les intérêts supérieurs de la nation, car ceux qui ont fait des calculs parce qu’ils voulaient protéger leurs postes et les avantages qu’ils ont eu sous le règne d’Omar Bongo, croyant qu’Ali Bongo allait le leur accorder, sont les principaux responsables de l’état dans lequel se trouve le pays en ce moment. C’est ce qui nous a, par exemple, fait perdre le poste de gouverneur de la BEAC. Le président Ali bongo n’est pas responsable de ces dérives, car il n’est pas arrivé au pouvoir avec une sagaie à la main. J’assume mon choix, car en communion avec mes esprits, j’avais déjà vu le scénario de ce que nous vivons aujourd’hui.
S.S.: En tant que bwitiste et chef d’un parti politique, que prévoyez-vous mettre en œuvre comme stratégie afin de lutter contre cette désorientation culturelle dont est victime actuellement le peuple gabonais, notamment avec l’avancée des religions importées telles que l’islam et le christianisme?
L.G.M.: Quand nous serons au pouvoir, nous mettrons en place un grand ministère de la culture qui organisera les jeunes dans le respect et l’acquisition de nos valeurs ancestrales. Car il faut absolument que les jeunes reviennent à leur culture. Je parle fang, myéné, batéké, et bien d’autres langues du pays, ça devrait aussi être le cas de tous les Gabonais. Quant à l’expansion des religions dont vous faisiez état, des milliards ont été engloutis pour aliéner les Gabonais dans l’islam. Peine perdue, car, c’est surtout par intérêt ou par curiosité que certains s’y sont intégrés. La preuve: combien, parmi eux, ont abandonné la consommation d’alcool et font leurs cinq prières quotidiennes? Il faut être honnête et reconnaître que malgré la perte de nos valeurs, le Gabonais reste encore attaché à ses rites ancestraux.
S.S.: votre dernier mot ?
L.G.M.: Je n’aurai jamais de dernier mot tant que je serai vivant. Je voudrais simplement dire aux Gabonais qu’ils ont une grande culture, une culture d’hommes forts et, par conséquent, il ne faut pas qu’ils baissent les bras et laissent mourir cette culture.
Propos recueillis par Rhonny Placide OBAMA