Entretien/ Alfred NGUIA BANDA parle d’un Gabon ruiné par une gouvernance calamiteuse et erratique sans perspective.

Homme politique et ancien haut fonctionnaire de l’Etat gabonais, Alfred NGUIA BANDA nous a accordé un entretien depuis son exil en France. L’opposant nous parle de sa fuite rocambolesque vers l’exil, de sa vision du Gabon, un pays ruiné par une gouvernance calamiteuse et erratique sans perspective non sans proposer des pistes de solutions à ce gouffre dans lequel se trouve un pays auquel, il reste encore profondément attaché.

Magazine Super Star : Bonjour monsieur Alfred NGUIA BANDA. Vous avez été pendant longtemps un fidèle au régime d’Ali Bongo avec qui vous êtes d’ailleurs de la même province. Plusieurs fois nommé à de très hautes fonctions au sein de la haute hiérarchie de ce pays. Qu’est ce qui a provoqué votre défection avec le régime Ali Bongo ?

Alfred Nguia Banda

Alfred NGUIA BANDA : Je n’ai jamais été un ami, un collaborateur, un thuriféraire encore moins un fidèle de Mr Ali Bongo Ondimba ni un soutien frénétique de sa politique. Cependant, je peux avouer que j’avais battu campagne pour lui en 2009 avec mon ami Mesmin YOUMOU dans le Haut Ogooué. Se sont joints à nous, le vieux Jean Pierre LEMBOUMBA LEPANDOU, Ludovic OGNAGNA, Léonard ANDJEMBE, OTOUNGA Mathias, Mme Pascaline Bongo Ondimba qui a même financé une partie de la campagne, Martin Loury et Gilbert ONDJIKA. Nous croyions que Mr Ali Bongo Ondimba allait impulser une dynamique de développement du Gabon. Malheureusement, nous nous sommes rendus compte que nous nous étions fourvoyés comme bien d’autres sur le plan national.

Il faut souligner qu’après des erreurs il faut en tirer des enseignements. J’en ai tiré. Aujourd’hui je suis opposant et je me retrouve en exil politique en France.

Vous savez, dans la vie politique, professionnelle voire dans la vie tout court, il arrive un moment où il faut arrêter de traverser des océans pour des gens qui ne sauteront même pas une flaque d’eau pour vous, ne sauteront même pas une flaque d’eau pour défendre les intérêts supérieurs du pays, ne sauteront même pas une flaque d’eau pour défendre l’intérêt général.

Certains responsables politiques majeurs sont obnubilés, obsédés pas le goût des annonces spectaculaires mais qui sont en définitive des carabistouilles insipides, des boniments, de la démagogie. C’est bien ce que j’appelle les vendeurs d’apocalypses et des porteurs d’illusions.

 Sans passion ! Quel est l’état du pays aujourd’hui ?

 On nous a promis en 2009 le PSGE, aujourd’hui on nous abreuve d’autres incantations. Mon maître Jean Jaurès disait : « Quand on ne peut pas changer les choses, on change de mots ». Nous y sommes.

Aujourd’hui nous constatons, avec grande consternation, que tous les secteurs d’activité sont à l’arrêt total.

– L ‘Éducation qui est l’âme de la République, la clé de voûte de la réussite sociale est un vrai désastre.

– La Santé qui l’un des piliers d’un pays est une grande catastrophe. Elle malheureusement reléguée aux magasins des accessoires.

– Les Transports sont un véritable chemin de croix. Les populations ne peuvent plus circuler d’une province à une autre, d’un département à un autre, d’une ville à une autre, d’un village à un autre. C’est l’extrême désolation.

– Le Logement est un désastre total. En 2009, Mr Ali Bongo Ondimba avait promis de construire cinq mille (5000) logements par an. Ils sont où ?

 – La Dette. Elle est abyssale. Aujourd’hui elle est de sept mille milliards (7 000 000 000) francs. Quels sont les investissements réalisés ?

– Le chômage est devenu systématique et incompressible. Plus de 47% des jeunes sont au chômage et vivent dans l’extrême précarité et pauvreté. C’est inadmissible.

Cette politique de destruction massive du Gabon est très incompatible avec ma vision et mon approche politiques.

Georges Clemenceau disait : » La politique n’est pas une prison. On peut en sortir le jour où le dégoût vous monte jusqu’au cœur ». Alors moi NGUIA BANDA, je ne fais pas de la politique par discipline mais par conviction. Je préfère donc perdre un poste que de perdre mon âme.

Votre départ rocambolesque a beaucoup fait de bruit derrière vous. Comment s’est passé votre exfiltration hors du Gabon ?

Malgré sa ceinture noire de Karaté, Alfred Naguia Banda n’a pu venir à bout de ses assaillants qui étaient armés jusqu’aux dents

C’est en revenant d’une réunion chez le Président de la république élu démocratiquement, son excellence Mr Jean Ping que j’ai été attaqué le 27 Septembre 2016 à 16h 47 par les agents de la DGR. De ma concession, j’ai sauté miraculeusement ma barrière de deux mètres de hauteur ; en tombant j’ai eu une double fracture de la cheville droite. Ne pouvant me relever pour fuir, je me suis caché dans la bananeraie adjacente à ma maison où j’ai passé la nuit la plus inoubliable de ma vie.

A 5heures du matin, j’ai demandé au gardien qui faisait le tour de la concession de son maître de me former le numéro de portable d’un ami camerounais. C’est bien cet ami qui a organisé mon exfiltration vers le Cameroun. De ce pays voisin, j’ai rallié la France le Dimanche 02 Octobre 2016 où j’ai subi une intervention chirurgicale qui a duré trois heures.

Ne m’ayant pas capturé, les agents de la DGR ont semé le chaos chez : destruction des portes, vol de mes vêtements, de la literie, de mes trois chiots, d’un véhicule, de la cave. En quittant mon domicile, ces agents ont oublié les armes qui ont été filmées par mon huissier.

En ce moment, je vis en exil en France avec mes enfants. Dieu ayant rappelé mon épouse dont l’inhumation s’est faite au Gabon sans moi.

David dans le psaume 34 verset 20 écrit : » Le malheur atteint souvent le juste mais l’éternel l’en délivre toujours « .

Vous êtes du Haut Ogooué, opposant radical : Quelle appréciation faites-vous de la situation désolante qui frappe cette province et celle de l’Ogooué lolo, coupées du reste du pays ?

Cette triste situation n’est pas spécifique à la province du Haut Ogooué qui est abusivement et injustement considérée comme la plus nantie. Elle souffre des mêmes tragédies comme les autres Provinces. C’est dans cette province que l’on trouve encore des maisons en terre battue, couverte en paille. C’est dans cette province que des maisons » dénommées tôles en haut tôles en bas » existent. Savez-vous qu’il y a encore des secteurs qui ne sont desservis en transport qu’en saison sèche, faute de routes. Savez-vous qu’il y a des grands villages qui ne disposent ni d’écoles ni de dispensaires. Les populations vivent encore à l’ère de la pierre taillée.

Cette province est la seule à payer un lourd tribut de la politique des Bongo. De nombreux et brillants cadres civils et militaires, que nous connaissons tous, ont été lâchement assassinés. Aujourd’hui le Haut Ogooué compte soixante-dix-neuf (79) réfugiés politiques dans le monde. D’autres sont assignés au chômage à vie.

Heureusement que les autres gabonais prennent conscience que cette province est logée à la même enseigne que les autres. L’oligarchie ploutocratique altogoveenne s’illustre par la manipulation des populations, en tripatouillant les élections, s’octroyant lamentablement des scores staliniens de 99,93%. Le ridicule ne tue pas.

Vos critiques sont devenues virulentes envers le régime en place, un régime que vous souteniez aveuglement autrefois. Nous avons même appris que vous étiez à la tête des hommes d’Ali Bongo qui avaient empêché MBA OBAME de faire sa campagne lors de la dernière présidentielle. Etes-vous sûr de vos convictions politiques ?

Alfred Nguia Banda â gauche avec le docteur Akouré , un autre opppsant

Je n’ai aucun pouvoir ni aucun droit d’interdire un Gabonais de se mouvoir librement dans son pays. Le Haut Ogooué ne m’appartient pas et je n’ai pas cette culture étriquée de la Démocratie. Je n’ai pas fait campagne en 2009 dans les alcôves mais dans des places publiques. Nous sommes à l’ère des nouvelles technologies. Je lance un défi à qui que ce soit de prouver que moi NGUIA BANDA j’ai tenu ces propos antidémocratiques.

André MBA OBAME et moi avons des relations familiales. Vous le savez… S’il venait dans le Haut Ogooué en visite privée, il habiterait chez moi. Son neveu épouse ma propre nièce de sang. Et le mariage coutumier s’est déroulé chez moi. Alors je laisse ces élucubrations à leurs auteurs.

Le Président de la République vient de procéder à la nomination d’un vice-président et d’un nouveau gouvernement au moment où le pays est plongé dans une crise profonde. Pensez-vous que son Vice-président et son nouveau Premier ministre accompagné du reste de son gouvernement pourront satisfaire les nombreuses attentes du peuple gabonais ?

La nomination de de Mr Alain Claude BILIE BY NZE au poste de premier Ministre, la formation d’un Gouvernement pléthorique de 45 ministres, le retour des vieux chevaux en fin de potentiel, le maintien de la quasi-totalité des ministres pris en flagrant délit d’incompétence, l’entrée de neuf (9) nouveaux ministres constituent une preuve irréfragable d’une gouvernance calamiteuse, scabreuse, chaotique et erratique sans perspective.

La démolition massive du Gabon va se perpétuer. Mr Alain Claude NZE a des qualités et des défauts :il est très courageux et surtout la volonté de réussir mais pour lui-même. C’est excellent roquet aux ambitions dévorantes, incommensurables, c’est un vrai transactionnel. Le transactionnel n’est pas arrimé à des convictions fortes ; ce qui l’intéresse, c’est la rétribution, la sauvegarde de ses intérêts, de ses privilèges et de ses honneurs. Le transactionnel se livre donc au plus offrant. L’opportunisme politique conduit à la compromission morale. 

Je ne peux même pas accorder le bénéfice du doute à Mr BILIE BY NZE. L’hystérie et le charivari politiques sont incompatibles avec la praxis et l’action politique.

 L’échec de Mr BILIE BY NZE ne fait aucun doute. Ces devanciers au nombre de sept (7) étaient-ils tous des incompétents. Je ne pense pas et pourtant leurs échecs sont patents.

Vous venez de rédiger un plan de sortie de crise politique au Gabon que certains appellent déjà le Plan NGUIA BANDA, votre plan cadre-t-il avec le Mémorandum qu’ont signé les 42 partis de l’opposition ?

Oui j’ai proposé un plan de sortie de crise que je juge au-delà des passions et des ambitions hypertrophiques. Dans ce plan, je propose une période de transition de deux à trois ans et trois hypothèses portant sur les autorités qui dirigeraient cette transition. Les similitudes de ce plan et de celui du RPG du Président Laurent ANGUE MEZUI constituent une véritable bouée de sauvetage pour notre pays.

La politique est faite de compromis d’opportunité mais pas de compromissions.

Vous écrivez avec insistance de l’opposition au pouvoir et opposition du pouvoir. Quelle est la différence entre ces deux concepts ? Et quels sont ceux qui représentent les deux oppositions ?

L’opposition au pouvoir est constituée des acteurs politiques arrimés à des convictions et à des principes auxquels ils ne peuvent déroger. Ils jouent le jeu démocratique caractérisé par un pouvoir qui gouverne et une opposition qui s’oppose.

En revanche, l’opposition du pouvoir est constituée des transhumants, des transactionnels, des esprits caméléoniques qui peuvent tourner casaque à tous moments. Nous avons beaucoup d’exemples des transactionnels gabonais qui extirpent au combat politique ses lettres de noblesse et à la démocratie son prestige.

Ali bongo vient de lancer un appel à un dialogue national qu’en pensez-vous ?

Ali Bongo Ondimba n’a rien proposé. L’initiative d’une concertation sur la transparence électorale émane de l’opposition au pouvoir. Nous espérons que les résolutions prises lors de cette concertation pourraient décrisper la morosité politique ambiante par un respect scrupuleux des engagements souscris par les uns et les autres.

Je crois que cette concertation ne peut être crédible que si les Religieux, la Société civile, la CEEAC, l’UA, l’UE, l’ONU et la France soient invités. Sans leur participation, la montagne accouchera d’une souris comme d’habitude.

Quelle sera votre position lors de la prochaine élection présidentielle : candidat ou soutien d’un candidat ?

En France avec un activiste .

Je ne serai pas candidat pour deux raisons : La constitution qui est triturée et torturée en permanence exclut tous les Gabonais n’ayant pas résidé plus de six mois.

Mon statut de réfugié politique ne me permet pas de rentrer au Gabon sous la dictature que les Gabonais sont assujettis.

Cependant je me lancerai dans la campagne dans toute la France, en Europe, en Amérique du Nord etc.

Quel est pour vous l’opposant le plus crédible parmi ceux qui se sont déjà annoncés comme candidat à la prochaine élection présidentielle ?

Je suis en train de rédiger un projet de société que je remettrai au candidat de l’opposition au pouvoir qui sera retenu. Je l’avais fait et présenté au quartier général du candidat Guy NZOUBA NDAMA en 2016.

Mon seul souhait repose sur la désignation d’un candidat unique de l’opposition au pouvoir et de former une véritable équipe de combat.

Un dernier mot pour clore notre entretien ?

Je dirai au peuple gabonais meurtri et honteusement persécuté que la désespérance d’un moment créé toujours l’espérance de toute une vie. Il faut toujours continuer de croire qu’il fera beau quand il pleut.

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