DROITS D’AUTEURS ET DROITS VOISINS : L’ARTISTE GABONAIS VA-T-IL SORTIR DE LA MISÈRE? Par Marcel DJABIOH

Sort-on de la misère à coup de dons ? Certainement pas. Sans faire la politique du varan qui se cache dans le creux d’un arbre mort en laissant sa queue dehors, l’on doit à la vérité, reconnaitre que dans notre pays les auteurs d’œuvres artistiques et culturelles, même lorsqu’ils ont un emploi rémunéré comme c’est le cas pour certains, n’hésitent pas à sauter sur le moindre bout de pain qui leur est jeté, alors qu’ils ont droit à toute une boulangerie. C’est malheureusement cet état d’esprit qui a toujours prévalu au sein de la communauté des créateurs des œuvres de l’esprit, particulièrement chez auteurs d’œuvres musicales. Ce comportement est à l’origine du mépris qui leur est servi, aussi bien par leurs concitoyens que par les gouvernants. Ce mal semble trouver sa source dans la mentalité générale du Gabonais d’une part, mais surtout dans l’ignorance des droits que leur confèrent notre Constitution, les traités et les conventions internationales relatifs à la propriété intellectuelle. Sur ce plan, on pourrait dire que les torts sont partagés, étant donné que très peu de séminaires visant à instruire ces acteurs sur les règles qui régissent leurs professions sont organisés dans notre pays, et lorsqu’il y en a, très peu y participent.

QU’EST-CE QUE LE DROIT D’AUTEUR ET LES DROITS VOISINS ?
Le Droit d’auteur est défini comme étant l’ensemble des droits (moraux et patrimoniaux) dont dispose un auteur ou ses ayants droit (héritiers, sociétés de production ou d’édition, arrangeur), sur des œuvres de l’esprit originales et des droits corrélatifs du public à l’utilisation et à la réutilisation de ces œuvres littéraire ou artistiques sous certaines conditions. A ce sujet, l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral, ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l’alinéa 1er ».
L’article L 121-2 pour sa part expose que : « L’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre. Il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci. Après sa mort, le droit de divulgation de ses œuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l’auteur ».
Au titre du droit de divulgation, l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique est le seul à détenir le droit de décider de porter sa création la première à la connaissance du public. Il décide aussi des modalités de cette divulgation. La divulgation de l’œuvre sans autorisation de l’auteur ou d’une société de gestion collective à laquelle l’auteur est affilié est sanctionnée par l’action en contrefaçon.
Les droits voisins quant à eux, sont conférés à ceux qui, à partir de l’œuvre de l’esprit, vont réaliser, donner vie à l’œuvre de l’esprit par une prestation de nature différente.
Les titulaires de droits voisins sont ceux qui donnent vie à une œuvre de l’esprit. Ils vont interpréter une œuvre 1ère, la diffuser, la produire. En sont titulaire selon de code de la propriété intellectuelle, les artistes-interprètes ; les producteurs de phonogrammes ; les producteurs de vidéogrammes ; les entreprises de communications audiovisuelles. Les termes « droits d’auteur » et droits voisins désignent aussi les rémunérations que perçoivent les auteurs et les titulaires des droits voisins. Par conséquent, il ne s’agit ni d’une faveur, ni d’un don, encore moins d’une taxe, mais d’une juste rémunération qui doit être reversée à l’auteur d’une œuvre, du fait de l’exploitation publique de celle-ci.
Ceci dit, pour que les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques, et les titulaires des droits voisins au droit d’auteur sortent de la misère qui leur est imposés avec leur propre complicité passive, il ne suffit pas d’organiser une opération de communication politique comme ce fut le cas en février 2018, et à l’occasion, de distribuer à la volée, des modiques sommes aux auteurs comme le ferait un fermier jetant du riz à ses poules. Cela exige un minimum de sérieux de la part des autorités en charge de la Culture, et un strict respect des règles et procédures fixées par la législation nationale et les conventions internationale en matière de « REPARTITION DU DROIT D’AUTEUR », par la société de gestion collective qu’est le Bureau Gabonais du Droit d’Auteur et des Droits voisins (BUGADA).

REPARTITION NE SIGNIFIE PAS DISTRIBUTION
Ne répondant à aucune règle en la matière, le partage des Droits d’auteur effectué en février dernier par le ministre en charge des Arts et de la Culture fut tout, sauf une « Répartition ».
La première règle consiste à déterminer à qui et pour quelles œuvres la répartition est-elle faite. Cela implique que celui qui déclare une œuvre soit d’abord membre adhérant du BUGADA, que la qualité d’auteur de l’œuvre qu’il a déclarée lui soit reconnue par une « Commission statutaire » et qu’il ait défini le mode d’exploitation de cet œuvre. A savoir : Le droit de représentation et le droit de reproduction par le moyen de la télévision, la radio, la photographie, les réseaux et supports analogiques et numériques, les phonogrammes, les vidéogrammes, la reproduction dans les journaux, le droit à rémunération au titre de la reprographie, de la retransmission simultanée, intégrale et sans changement par câble, de la copie privée et du prêt public, étant donné que les modalités de répartition des Droits d’auteur et voisins tiennent compte de cette différence de nature des répertoires et des conditions d’exploitation des œuvres dans le calcul des montants.
La deuxième est celle qui voudrait que tout bulletin de déclaration d’une œuvre soit accompagné des contrats d’auteur conclus par chaque déclarant avec le producteur et l’éditeur de l’œuvre audiovisuelle concernée.
La troisième règle voudrait que, compte tenu de la diversité des conditions d’exploitation induisent des modalités de perception des droits d’auteur variées, tant aux plans juridique et économique que pratique. Aussi, les deux phases suivantes auraient dû être observées avant de prétendre à une répartition des droits.
1 – la détermination du montant de droits attribuables à une œuvre pour une exploitation donnée,
2 – l’attribution du montant ainsi déterminé à un auteur ou sa répartition entre plusieurs coauteurs (ou ayants droit).
On pourrait en dire plus, car la répartition tient également compte des droits entre ces coauteurs et procède de l’application :
– des pourcentages convenus entre coauteurs et figurant dans le bulletin de déclaration de l’œuvre,
– des règles définies par le Décret 000452 du 23 mai 2006, fixant le règlement relatif à la gestion du droit d’auteur et des droits voisins.
Or, tout cela n’a nullement été exigé par le ministère en charge des Arts et de la Culture, le Conseil d’administration ayant été exclu pour cause d’expiration du mandat de ses membres depuis le mois d’août 2017, encore moins observé par le BUGADA, chargé de procéder au calcul de la rémunération due aux ayants droit, au titre des droits d’auteurs et d’en procéder à la répartition. Comment pourrait-on croire que dans les conditions actuelles d’organisation et de fonctionnement du Bureau Gabonais du Droit d’Auteur et des Droits voisins, les auteurs puissent sortir de la misère, sur la base d’un simple saupoudrage du reste aléatoire. On l’aurait espéré si par délibération, un Conseil d’Administration au sein duquel siègent des représentants des auteurs d’œuvres littéraires et artistiques avait par exemple décidé d’affecter tout ou partie de toutes les redevances perçues, l’amélioration de l’équipement et du fonctionnement du BUGADA, aux fins de la conception et de la production de toute la documentation (demande d’autorisation d’exécution ou de représentation publique, bordereau de déclaration des recettes et des dépenses, contrat général de représentation, quittance, licence de reproduction mécanique, mandat exclusif, relevés de programmes des représentations ou exécutions publiques à fournir par les diffuseurs et entrepreneurs de spectacles, demandes d’autorisation de reproduction mécanique présentées par les usagers producteurs de supports d’œuvres de création intellectuelle etc.), nécessaires à une meilleure organisation du travail de perception de la redevance et à une répartition faite dans les règles de l’art, plutôt que de procéder à un partage basé sur des critères arbitraires et injustes. Sans se voiler la face, il faut reconnaitre que sortir de la misère pour la communauté des auteurs n’est pas pour demain la veille, si le manque de concertation avec les concernés, l’amateurisme et le manque évident de volonté politique demeurent la marque de fabrique des autorités. Autrement dit, ils ne sont pas prêts de sortir de l’auberge, donc de la misère, tant qu’ils demeureront passifs, et insouciants sinon complices du sort qui est le leur et sera par voie de conséquence, celui de leurs ayants droit.

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