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Brice Clotaire Oligui Nguema vient de franchir une étape cruciale de son aventure politique : celle de la légitimité populaire. Avec un score dit « soviétique » de 90,35 % des suffrages exprimés, il a non seulement balayé ses adversaires symboliques, mais il a surtout vaincu son véritable concurrent : le taux d’abstention, ennemi sournois des régimes en quête de crédibilité.
Ce plébiscite n’a rien d’anodin. Il est le fruit d’une combinaison entre une attente populaire immense, un ras-le-bol généralisé envers les pratiques du passé, et une stratégie de campagne reposant sur un large rassemblement de la classe politique, toutes tendances confondues. Du côté des ex-opposants comme des anciens affidés du régime Bongo, on a rallié Oligui non par foi politique partagée, mais pour des raisons purement stratégiques. Car Oligui est un homme de fidélité, de gratitude. Il récompense. Il se souvient. Et ceux qui ont battu campagne à ses côtés, parfois même contre leurs convictions, nourrissent aujourd’hui de grands espoirs de promotions politiques, de nominations aux postes ministériels, de sièges dans les hautes sphères de l’État, ou de fonctions diplomatiques et administratives lucratives.
C’est là que le bât blesse. En héritant d’un appareil d’État sclérosé, d’une société en souffrance et d’une économie exsangue, le nouveau président n’a pas le luxe de fonctionner selon les règles clientélistes qui ont longtemps gangrené la politique gabonaise. Il lui faudra faire des choix. Tranchants. Radicaux.
Ancien patron des services de renseignement, Oligui connaît les visages derrière les masques. Il sait qui a adhéré à son projet avec sincérité, et qui est venu par calcul. Cette connaissance intime du marigot politique gabonais peut devenir son atout, à condition qu’il ait le courage de s’affranchir des équilibres artificiels et de couper le cordon avec les barons du système déchu. Car tant qu’ils graviteront dans son entourage immédiat, la suspicion du peuple ne s’éteindra pas.
L’état du pays appelle à des mesures fortes, à un souffle nouveau. Gabon est riche, mais sa population est pauvre. Chômage structurel, hôpitaux en déliquescence, écoles sous-équipées, routes impraticables, salaires de misère pour les fonctionnaires, retraités humiliés, criminalité galopante : le tableau est sombre. Et pourtant, les Gabonais ont décidé d’accorder une trêve patriotique aux militaires pour reconstruire la nation. Mais cette trêve n’est pas éternelle. Elle repose sur un fil. Une seule promesse trahie, un seul retour aux anciennes pratiques, et le peuple pourrait basculer dans une défiance active.
Car désormais, plus personne ne pourra prétexter un manque de légitimité. “On t’a donné la légitimité. On attend le positif.” Voilà le contrat moral qu’Oligui a signé avec le peuple.
Tous ceux qui n’obtiendront pas ce qu’ils convoitent, postes, prébendes, reconnaissance deviendront fatalement les fers de lance d’une opposition nouvelle. Une opposition amère, revancharde, peut-être mieux structurée que celle que le pouvoir militaire avait neutralisée depuis le coup de transition.
Et c’est là que réside le vrai piège : Oligui devra gouverner en marchant sur un fil entre le rejet des anciens et la gestion d’un pays en crise, tout en contenants une fronde politique venue de ses propres rangs.
Oligui a souvent montré un amour sincère pour son peuple, à travers des gestes symboliques forts, des discours empreints d’humilité et une posture d’homme de terrain. Mais il faut désormais passer de l’intention à l’action. L’amour d’un peuple ne suffit pas à gouverner, encore moins à réformer. Il faut une vision claire, une main ferme et surtout, une capacité à déplaire lorsqu’il le faut.
Il devra :
- Lancer des audits indépendants pour évaluer les finances publiques ;
- Nettoyer les circuits de corruption au sein des douanes, des impôts et des marchés publics ;
- Ouvrir l’accès aux marchés économiques à une nouvelle génération d’entrepreneurs ;
- Réformer la justice pour qu’elle protège les citoyens et non les puissants ;
- Imposer la redevabilité aux ministres et hauts fonctionnaires ;
- Communiquer de manière transparente, régulière et pédagogique avec la population.
En définitive, Oligui Nguema a aujourd’hui entre ses mains l’occasion rare d’entrer dans l’Histoire comme l’homme qui aura redonné de la dignité à une nation humiliée. Mais s’il cède à la tentation de la compromission, du recyclage politique et de la récompense systématique des courtisans, alors son avenir ne sera qu’un feu de paille, une illusion passagère dans la longue nuit gabonaise.
Le peuple observe. Il attend. Et cette fois, il ne pardonnera pas.